mardi 17 mars 2015

DANS LA MAISON de François OZON (FR-2012)


Dans la maison est un film français réalisé par François Ozon sorti en 2012. Son sujet est librement adapté de la pièce du dramaturge espagnol Juan Mayorga, « Le Garçon du dernier rang » (El chico de la última fila). Avec Fabrice Luchini (M. Germain),  Kristin Scott Thomas (Jeanne Germain), Ernst Umhauer (Claude Garcia) et Jean-François Balmer (le proviseur).

Synopsis

Cette année-là, l'Education nationale a décidé, dans le lycée-pilote Gustave-Flaubert où le professeur Germain Germain (Fabrice Luchini) enseigne le français, d’imposer l'uniforme dans le but d'effacer les différences sociales. Germain se trouve face à des élèves de 2e peu intéressés par son enseignement et, de retour chez lui, il se désole de leur lamentable niveau devant sa femme Jeanne, directrice d'une galerie d'art moderne (Kristin Scott Thomas). Un seul élève sort de l'ordinaire mais en cours, il se tient curieusement en retrait, au dernier rang de la classe (d'où le titre espagnol de la pièce). Il s’agit de Claude Garcia (Ernst Umhauer).

Comme galop d’essai, le premier devoir que donne M. Germain à ses élèves a pour sujet : "Racontez votre week-end". Ce qu’il obtient en retour de la plupart des élèves est tellement désastreux que, parmi toutes les copies qu’il a à corriger, la seule qui mérite son intérêt est celle de Claude. Celui-ci raconte son week-end passé au domicile d'un de ses camarades, Rafa, avec un talent qui tranche sur le reste de la classe. Il y a cependant, dans le récit qu’il fait de ces quelques heures passées avec cette famille qui n’est pas la sienne, quelque chose qui s’apparente à du voyeurisme. Germain et sa femme,  à qui il fait lire la copie, sont à la fois gênés mais en même temps fascinés par ce récit qui se termine par l’énigmatique formule "à suivre".

Face à cet élève poli, doué et différent, Germain reprend goût à l'enseignement, mais la personnalité trouble du jeune homme va entraîner pour lui des conséquences qu’il n’aurait pas imaginées.
Issu d'une famille déshéritée (il vit seul avec son père handicapé, sa mère les ayant quittés), Claude s'est pris de fascination pour une famille qu’il qualifie lui-même dans ses écrits de "normale", celle de son camarade Raphaël (Rafa) Argol. Dès son premier texte, Claude évoque "le parfum de femme de la classe moyenne" qu'exhale Esther (Emmanuelle Seigner), la mère de Rafa. Au fil des épisodes, le jeune homme entre chaque fois un peu plus dans leur intimité, décrivant avec une lucidité confinant à la cruauté cette famille qui l’attire en même temps qu’elle le repousse.

Germain, qui aurait dû rester neutre et ne pas encourager son élève dans une voie que lui-même considère comme malsaine, devient, à travers le regard de l’élève, un voyeur et prend goût à ce jeu pervers et dangereux.

Comme il le fait dans Huit femmes, ou même dans Potiche, Ozon joue avec ses personnages, les plaçant à contre-emploi. Ici, celui qui tire les ficelles, ce n’est pas le professeur mais l’élève et encore celui-ci le fait-il avec une sorte de pureté troublante qui engage à le considérer plus comme une victime que comme un coupable, craignant même, plus on se rapproche de la fin, une issue fatale pour l'un ou l'autre des personnages. Comme dans Huit femmes, le film est construit comme un labyrinthe de miroirs : la vérité apparente des faits cache une situation beaucoup plus complexe qui met le spectateur mal à l’aise. On pense un moment que c’est l’introverti Claude qui est amoureux du sportif Rafa, alors que ce sera Rafa qui, au contraire, lui volera un baiser. Quant à Claude, il n’hésitera pas à faire des avances à Esther, un substitut de sa mère. L’intérêt que porte Germain à son élève est, au début du film sans ambiguïté, mais elle se transforme vite en une affection morbide qui fait croire à ses collègues et à sa hiérarchie qu’il entretient une relation amoureuse avec son élève, ce qui est manifestement faux.

Dans ce film, on retrouve l’ironie légère et la cruauté qu’Ozon avait déjà manifestées dans ses précédents films mais il le fait ici avec une maestria qui nous évoque les meilleurs réalisateurs de suspense comme le Polanski de  Ghost writer, ou le Woody Allen de Match Point (est-ce un hasard, mais on en doute, car les clins d’œil au cinéma sont généralement voulus, lorsque Germain et sa femme vont au cinéma, ils vont justement voir ce film-là), voire le Pasolini de Théorème (film auquel Germain fait lui-même allusion dans un de ses entretiens avec Claude).

Hormis la révélation que représente Ernst Umhauer, dont l'innocence apparente recouvre une trouble menace, sans toutefois atteindre la noirceur psychopathe d’un Michael Pitt dans Funny Games USA de Michael Haneke, le casting est impeccable : même si le couple Kristin Scott Thomas-Luchini est assez improbable (mais pas plus que ne l'était Luchini-Deneuve dans Potiche), la première est parfaite dans le rôle d’une élégante bourgeoise un peu froide ; quant à Luchini, dont je redoute toujours le cabotinage et les débordements, je dois dire que je l’ai encore plus apprécié dans ce rôle de prof que dans celui de directeur hystérique et dépassé d'une usine de parapluies. Il n’empêche que, comme dans les précédents films de François Ozon, les personnages ont tous quelque chose de vaguement monstrueux qui nous fascine, nous peine et nous fait rire à la fois. C’est le grand talent de ce réalisateur de parvenir à rassembler tous ces traits antinomiques en un seul film. 

Mon opinion

Je viens de voir ce film qui était reprogrammé dans le cadre du festival Télérama. Je m'étais éclaté avec Huit Femmes et Potiche. Ce dernier film m'a paru encore plus réussi. On y ressent la patte d'un vrai metteur en scène, sûr de ses plans et parfaitement écrit et joué.

En tant qu’ancien prof, j’y ai retrouvé certains des sentiments que j’ai pu éprouver dans l’exercice de ce difficile métier : la surprise et la joie que l’on éprouve à découvrir une personnalité qui sort de l’ordinaire, le désir de l’aider à mieux exprimer ce qu’il ressent et à se dégager du carcan… mais aussi la crainte d’établir une relation trop personnelle, sachant qu’elle risque d’être mal interprétée par l’entourage.

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