Pierrot-le-fou est un film de Jean-Luc Godard tourné en
1965, avec Jean-Paul Belmondo et Anna
Karina dans les rôles titres. A l’origine, ceux-ci devaient être tenus par
Michel Piccoli et Sylvie Vartan, mais cette dernière refusa de jouer le rôle
de Marianne. Aussi, Godard se tourna-t-il vers un autre duo : celui formé par
Belmondo et Anna Karina, son ex-épouse, avec laquelle ce sera son 6ème film.
Le film est librement inspiré d'un roman
policier de Lionel White, dont le titre original est, en anglais, « Obsession »
et le titre français « Le démon d'onze
heures ».
Synopsis
Le thème du film est celui de
l’amour et de la mort. Ferdinand Griffon (Jean-Paul Belmondo) mène une vie sans histoire au côté de sa femme Maria (Graziella Galvani) et de ses enfants.
Il vient de perdre son emploi à la télévision et, en rentrant d’une soirée
ratée chez ses beaux-parents, il tombe sur Marianne (Anna Karina), une de ses anciennes petites-amies, venue comme
baby-sitter pour garder ses enfants. Sur un coup de tête, il décide alors de
laisser tomber sa famille et sa vie routinière pour s'enfuir avec elle vers
dans le Midi. Le road-movie sera un périple sanglant où se mêleront trafic
d'armes, complots politiques, rencontres incongrues, mais aussi des pauses
bucoliques et pleines de poésie et de déchirements amoureux.
Le film, tourné en 1965, anticipait
la profonde remise en question de la société de consommation et des valeurs
conservatrices d'après-guerre, le droit au bonheur et à l’amour sans entraves,
le refus de travailler pour gagner sa vie tout en profitant de ce que la
société d’abondance apportait, revendications qui culmineront quelques années
plus tard, avec la vague de mai 1968 qui fit trembler les bases de toute la
société européenne.
La cavale des amants maudits
commence à Paris et elle se poursuit en descendant vers Avignon (pont de
Bonpas), les rives de la Durance, et l’île de Porquerolles dans le Var. Les
références à la peinture, la littérature et la bande dessinée sont nombreuses -
et on reconnaît aussi nombre de slogans publicitaires de l'époque dans les
dialogues.
Le film et la couleur : Bien avant Diva de Jean-Jacques
Beineix (1981) ou Subway de Luc Besson (1985), Godard a inauguré, avec Pierrot-le-Fou,
une utilisation révolutionnaire de la couleur (en particulier les couleurs
rouge et bleu), présentes partout, dans les décors et les accessoires (objets
divers, drapeau bleu-blanc-rouge, enseigne de cinéma apparaissant insérées
entre deux scènes, visages peints des personnages, etc.) mais aussi, ce qui est
plus rare et totalement atypique, surtout à l’époque, en utilisant des filtres
colorés pour certaines scènes. Pour revoir cela, il faudra attendre le génial Bagdad Cafe de Percy Adlon (1987) ou, encore plus tard, Pleasantville de Gary
Ross (1998). Pour son film, Godard s’est aussi inspiré de la vie et
de l’œuvre du peintre contemporain Nicolas
de Staël qui, on le sait, a terminé tragiquement sa vie en se jetant du
haut de son atelier à Antibes.
Tout n'est pas dû à Godard dans
ce film. Il doit aussi beaucoup à son chef opérateur, Raoul Coutard. Celui-ci, après avoir fait ses armes comme grand-reporter
en Indochine devint plus tard "chef-op" de Pierre Schoendoerffer avant de devenir celui de Godard (avec qui il avait déjà
collaboré sur A bout de souffle). Coutard
collabora ensuite avec Truffaut où
l'on retrouve sa marque dans le violent contraste entre le noir et le blanc qui
traverse un autre film culte du cinéma français : La mariée était en noir
avec Jeanne Moreau. Le suicide de Pierrot-le-Fou, avec des bâtons de dynamite violemment colorés,
rappellerait celui de Nicolas de Staël, tué par son délire de lumière et de
couleurs.
Le film et la musique : La musique joue
aussi un rôle majeur dans Pierrot-le-Fou : les acteurs principaux y
interprètent sans doublage deux chansons, écrites par Serge Rezvani : « Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerais
toujours, ô mon amour » et « Ma ligne
de chance ». C’est Anna Karina qui, lors d’une interview, confia que son
ex-mari qu’elle adorait tellement « Le
tourbillon de la vie», l’inoubliable chanson interprétée par Jeanne Moreau
dans Jules
et Jim de Truffaut, qu’il décida, lors de la phase de repérage du film,
d’aller demander au compositeur d’écrire pour lui. Il se présenta un jour chez
Rezvani à 7 H du matin et repartit avec les deux chansons que l’on entend dans
le film. Il est curieux que Rezvani (alias Cyrus Bassiak) ne soit pas crédité
au générique du film. Connaissant la précision pointilleuse du travail de
Godard, on peut penser que cet « oubli » lui fut dicté par des raisons qui
n’appartiennent qu’à lui et dont il ne s’est jamais expliqué.
Le film et la poésie : Outre la couleur et la musique, le film fait
aussi une large place à la littérature, principalement à la poésie, avec de
nombreuses références à Rimbaud
(bien qu’il ne soit jamais nommé), constamment présent à travers des citations
d’«Une saison en enfer», « L'amour est à réinventer », « La vraie vie
est ailleurs », etc., ainsi que la citation finale. Arthur Rimbaud apparaît
aussi dans un portrait en noir et blanc orné de voyelles de couleurs, allusion
au fameux «Sonnet des voyelles» du
poète. La vie d'errance du poète, qui le conduisit Arabie et en Ethiopie où il
fit toutes sortes de trafics pour survivre, et sa mort en paria, sont aussi
pris comme référence. Comme autre référence inattendue, on doit citer Louis-Ferdinand
Céline, en particulier à travers deux de
ses romans «Guignol's Band» et « Le Pont de Londres». Peut-être faut-il
voir aussi dans le prénom du héros, Ferdinand, une allusion à Céline, et à son
épopée mortifère, une sorte de «Voyage au
bout de la nuit»...
Ecriture du scénario : Jean-Luc Godard a lui-même fait courir le
bruit que le scénario de ce film s’était écrit au fur et à mesure du tournage.
En réalité, il y pensait depuis longtemps et, s’il se livra bien, au cours du
tournage, à différents changements ou improvisations, ce fut toujours en
suivant une ligne directrice très précise, comme c’est d’ailleurs le cas dans
tous ses films.
Accueil du film : Lors de sa sortie en salles, « Pierrot-le-fou »,
comme d’autres films de Godard, fut accueilli par de nombreuses protestations
de bien-pensants pour « atteinte à la morale ». Il fut même interdit aux moins
de dix-huit ans pour "anarchisme intellectuel et moral". Comment pouvait-il en être autrement à une époque où la bourgeoisie bien-pensante n'autorisait aucune liberté, et où la jeunesse étouffait sous les interdits ? Si les idées de 68 étaient en germe, elles ne
devaient éclater que trois ans plus tard, surprenant une société enkystée dans la routine et bouleversant
les mœurs d'une manière irréversible. C’est ce qui explique certainement
pourquoi le film ne fut pas distingué en France mais qu’il concourut (sans
l’obtenir) pour le Lion d’Or à la Mostra
de Venise.
A mon sens, avec A bout
de souffle, Pierrot-le-fou est le film le plus achevé de Godard et il
restera un exemple pour le cinéma universel, en particulier pour son
exceptionnelle utilisation de la couleur et la liberté de son ton. Tout le
talent de Jean-Paul Belmondo, qui
avait été révélé cinq ans plus tôt justement par A bout de souffle y
explose littéralement. Quant à Anna
Karina, elle y est sublime et on ne peut désormais imaginer une autre actrice jouant ce rôle.
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