Hommage à Jeanne Moreau,
une immense actrice et une femme libre.
Par un message de France Info datant d’aujourd’hui (31/07/2017),
nous apprenons le décès de Jeanne Moreau
à son domicile, dans sa 89ème année.
Je reprends ici le communiqué de
presse, non signé, de France Info :
« Elle quitte le tourbillon de la vie. Le cinéma français perd
l'une de ses plus grandes représentantes. Jeanne Moreau est morte à l'âge de 89
ans, lundi 31 juillet. Elle a été retrouvée sans vie à son domicile parisien, a
précisé Jeanne d'Hauteserre, maire du 8e arrondissement, confirmant
une information du magazine Closer. Elle a notamment joué dans Jules et Jim de
François Truffaut, Le Journal d'une femme de chambre de Luis Buñuel et Les
Amants de Louis Malle. »
Jeanne Moreau a été récompensée
par le prix d'interprétation féminine du Festival de Cannes en 1960 pour le
rôle d'Anne Desbarèdes dans Moderato Cantabile de Peter Brook.
Elle avait aussi obtenu le César de la meilleure actrice pour La
Vieille qui marchait dans la mer en 1992. L'actrice avait tourné avec
les plus grands réalisateurs français comme François Truffaut ou André
Téchiné, et internationaux, comme Orson
Welles ou Wim Wenders. »
A 19 ans, elle lâche une carrière
prometteuse à la Comédie Française, scandalisant ses collègues, pour suivre Jean Vilar qui venait de créer le
Festival d’Avignon. Dès 1947, elle y joua dans trois pièces, dont un Shakespeare,
puis, en 1951, aux côtés de Gérard
Philippe, dans un inoubliable Prince
de Hombourg mis en scène par Jean
Vilar.
Jeanne Moreau était une grande
actrice et une belle personne : bien qu’elle ait toujours refusé l’étiquette
de « féministe », elle soutint le combat de Simone Veil pour la légalisation
de l’avortement et signa le « Manifeste des 343 salopes » qui reconnaissaient avoir été contraintes à avorter au moins une fois dans leur vie.
En 2008, elle afficha son soutien
aux sans-papiers en enregistrant deux émouvantes lettres diffusées dans le
monde entier.
« Oui, c’est vraiment du
vent cette histoire ! C’est un projet de loi inapplicable, sans aucun
fondement. On nous a beaucoup dit, pour lui donner du crédit, que même des gens
de gauche le soutenaient, certains ont même écrit que le PS les avait déçus en
s’y opposant. Mais je ne suis pas sûre que ces artistes-là votent encore à
gauche… Enfin bon, c’est une question de génération. Aujourd’hui, les jeunes
artistes se font connaître par internet, par la gratuité, c’est absurde de
vouloir s’y opposer. Laissez-les voler, les internautes, c’est pas eux les
bandits ! »
Et dans la même interview, voilà
ce qu’elle disait sur la politique culturelle et les politiques en général :
« Ah oui, bien sûr ! J’ai de vrais emportements quand j’observe ce
qu’il se passe. Mais les emportements, ça ne sert pas à grand-chose. Je vais
voter, croyez-moi ! (Rires). Les gens qui s’abstiennent, ça me retourne. Je dis
à mes amis qui ne vont pas voter : “Mais l’Etat, c’est nous ! Ces gens-là, les
responsables politiques, sont nos employés. Parce que nous votons, nous les
embauchons. L’Elysée, c’est nous, c’est notre argent.” Comment peut-on refuser
la possibilité de s’exprimer là-dessus ? »
- S. Hessel : « On
me dit, Jeanne, que vous êtes une « indignée ». On me fait toujours le coup,
maintenant, depuis que j'ai publié ce petit bouquin[4] : «
Vous n'êtes pas le seul indigné, il y en a d'autres.» Ainsi, Jeanne Moreau est
une indignée perpétuelle. (…) Nous vivons dans un monde qui mérite toutes les
révoltes. Si vous vous considérez comme une révoltée, vous avez raison. »
- J. Moreau : « Quand j'ai vu le titre de votre
livre, je me suis dit : « Moi, je suis révoltée.» Je n'ai jamais dit à personne
que j'étais indignée, mais toute ma vie est celle d'une révoltée. Je me suis
révoltée contre l'autorité paternelle pour arriver à être ce que je suis.
Enfant, je me suis révoltée contre les adultes, je les trouvais trop cons (…) Maintenant
je pourrais grimper sur des barricades mais, malheureusement, j'ai passé l'âge.
Je suis devenue révolutionnaire trop tard. Les scandales politiques ou
financiers s'accumulent. On parle sans cesse de transparence alors que tout est
obscur : abus de pouvoir, appât de l'argent. »
-L’Obs : « Stéphane
Hessel, une cause vous tient à cœur depuis de nombreuses années, celle des
sans-papiers et des immigrés. Jeanne Moreau, en 2008, vous avez lu et
enregistré deux lettres ouvertes à Brice Hortefeux à l'appel de RESF (Réseau
Education sans Frontières) où vous affirmez qu'en tant que citoyenne française
vous avez honte de l'accueil fait aux immigrés, ces gens qui ont le courage de
tout quitter. Comment ce combat vous réunit-il ? »
- J. Moreau : « J'ai
du sang arabe, vous savez (…) Alors, oui, j'ai enregistré deux lettres
admirables qui ont été diffusées par internet dans le monde entier, même au
Japon. J'avais été invitée par Ariane Mnouchkine, cette femme magnifique du
Théâtre du Soleil, pour une réunion en soutien aux sans-papiers. Et j'ai choisi
deux lettres proposées par RESF. Souvenez-vous qu'à l'époque quiconque venait
en aide à un sans-papiers pour l'héberger était menacé de poursuite : 60.000
euros d'amende et la prison. J'ai signé le manifeste. J'ai dit : « Si je peux
protéger et abriter quelqu'un, je le ferai.» (…) Il faut résister. J'admire le
parcours de Stéphane Hessel. De Gaulle, la Résistance, les camps, son évasion.
Mais l'espoir... Moi, par moments je me réveille et je n'ai plus d'espoir. Je
suis désespérée et donc je peux devenir violente. [A propos de sa carrière] :
« On m'a toujours proposé des rôles de femme indépendante et révoltée.
Regardez aujourd'hui à qui sont identifiées les femmes, avec l'histoire DSK. La
femme est présentée comme une enjôleuse, un morceau de bifteck auquel il ne
peut pas résister. Pour les parties fines, si on ne lui a jamais demandé
d'argent, c'est parce que pour lui les femmes brûlent du désir de s'envoyer en
l'air avec lui. Elles sont donc un produit de consommation courante, des «
copines » que les hommes se refilent entre eux ! Mais enfin ce n'est pas possible
! Je n'ai jamais fait partie d'un groupe de féministes, je n'aime pas les
groupes. Je mène ma vie en féministe, dans mes actions quotidiennes, même les
plus infimes - respect pour l'une, respect pour l'autre (…). »
En 2013, elle soutint l'une des Pussy Riot,
emprisonnée en Russie, et décide de lire une lettre au micro de France Culture
et de Mediapart pour "exprimer (sa) révolte".
En 2015, elle signa une
tribune dans le Monde pour rappeler à François Hollande quelques-unes de ses
nombreuses promesses de campagne non tenues pendant le quinquennat.
Elle avait déclaré : « A mon âge, je ne peux plus monter sur les
barricades (…). Je prends la parole pour exprimer ma révolte. Je veux toucher
le plus de monde possible pour dénoncer ce qui arrive à cette jeune femme dont
la vie est en danger ».
Personnellement, à part son inoubliable
interprétation du « Tourbillon de la vie », dans Jules et Jim, sa
prestation qui m’a le plus marqué au cinéma, c’est, en 1967, son rôle dans La mariée était en noir de Truffaut.
Elle est aussi stupéfiante dans le rôle de Marguerite Duras dans le biopic Cet amour-là, de Josée Dayan,
aux côtés d’Aymeric Demarigny (2001).
Au revoir, Jeanne. Nous n'oublierons ni ton visage, ni ta voix.
[1] Arnaud
Schwarz, La Croix, 31/7/2017.
[2] Loi
visant à pénaliser le téléchargement sur Internet. Cf. « Jeanne Moreau à
Avignon, interview », in : Les
Inroks, 08/07/2009.
[3] "Toute
ma vie est celle d'une révoltée" : quand Jeanne Moreau s'entretenait avec
Stéphane Hessel. L’Obs, 2 janvier 2012. Toute l’interview est passionnante à
lire : http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20111221.OBS7300/jeanne-moreau-stephane-hessel-la-rencontre.html
[4]
Indignez-vous ! Montpellier, Indigène éd., 2010.
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