Eclipse totale (dont le
titre original est Total eclipse ou aussi Rimbaud-Verlaine), sorti en 1995,
est une coproduction franco-anglo-belge de la réalisatrice d'origine polonaise Agnieszka Holland, celle qui avait
réalisé, peu avant, le beau film Le jardin secret, que j’avais
beaucoup aimé.
Synopsis
Eclipse totale traite, de
façon romancée, la relation sulfureuse qu'entretinrent, pendant deux ans, Paul
Verlaine (David Thewlis) et Arthur
Rimbaud (Leonardo DiCaprio).
Le film commence après la mort de
Rimbaud. Verlaine, vieilli prématurément par l'abus de drogue et d'alcool,
entre dans son café habituel à Paris. La sœur de Rimbaud, Isabelle (Dominique
Blanc) l'y attend. Ils ont une entrevue orageuse au sujet de la succession de
Rimbaud. Isabelle exige de Verlaine qu'il lui rende les manuscrits de son frère
publiés, selon elle, sans son autorisation. En réalité, Isabelle, très dévote,
a honte de la vie « dissolue » qu'a menée Arthur et, ne comprenant
rien à son talent, elle voudrait pouvoir en expurger les manuscrits, voire les détruire…
Nous avons ensuite un flash-back
qui se déroule pendant les deux années où Rimbaud et Verlaine ont vécu ensemble
une histoire d'amour passionnée et ont écrit, du moins pour Rimbaud, la plus
grande partie de leur œuvre qui reste, plus de 140 ans après, l'une des plus
magnifiques de l'histoire de la poésie.
En septembre 1871, Arthur Rimbaud
a 16 ans. Il s'est violemment disputé avec sa mère (Nita Klein), une paysanne austère et dure à la tâche, qui a élevé
seule ses enfants, après que son mari, militaire, l'a quittée. Depuis sa plus
tendre enfance, Arthur a toujours été un enfant à part, à fleur de peau,
passionné, introverti. Il a toujours souffert de la dureté de sa mère et de
l'ambiance étouffante qu'elle faisait régner dans sa famille. D'une
intelligence hors du commun, il écrit de la poésie depuis l'âge de 7 ans. En
1871, Verlaine a déjà publié plusieurs recueils de poèmes (Poèmes Saturniens, Les fêtes
galantes...) qui lui ont valu une certaine notoriété dans les milieux
parisiens. Arthur lui envoie quelques-uns de ses essais et Verlaine, subjugué
par ce qu'il lit, l'invite chez lui à Paris. Verlaine est alors marié depuis un
an avec Mathilde (Romane Bohringer)
et ils ont un enfant.
La première rencontre entre
Rimbaud et Verlaine est un quiproquo : lorsqu’il arrive à Paris, le jeune homme
se rend tout droit chez Verlaine sans savoir que celui-ci est venu l'attendre à
la gare, et ils se manquent. Lorsque Rimbaud se présente au domicile du poète,
il y est reçu plutôt froidement par Mathilde et les choses se passent mal entre
eux. Mais, dès que Verlaine est en présence d'Arthur, il tombe sous le charme
de ce beau jeune homme dans lequel il perçoit immédiatement le génie. Il le
présente à ses amis puis, devenu fou amoureux d’Arthur, il abandonne femme et
enfant pour partir avec lui en Angleterre. Leur vie de débauche et leur
homosexualité notoire les obligeront à quitter Londres pour la Belgique et se
réfugier à Bruxelles, chez la mère de Verlaine, où ils poursuivent leur vie
dissolue. Un jour, suite à une dispute provoquée par la drogue et l’alcool, et
aussi sans doute par la jalousie que ressent Verlaine vis à vis de la beauté,
de la jeunesse et du talent exceptionnel de Rimbaud, ou peut-être seulement en
raison de l’alcool, il lui tire dessus. Rimbaud n'est que légèrement blessé
mais il prend peur, s’enfuit et porte plainte. Devant les excuses de Verlaine,
qui menace de se suicider en sa présence s'il ne lui pardonne pas, Rimbaud retire
sa plainte et s'en va. Mais le mal est fait : Verlaine est condamné à deux ans
de prison plus en raison de ses relations homosexuelles que pour l'agression
elle-même. Sa femme ayant demandé le divorce, Rimbaud parti, Verlaine abandonné
par tous exécute ses deux années de prison à Bruxelles et à Mons dans des conditions
épouvantables. Il y écrira des pages poignantes et des poèmes immortels.
Mon jugement sur ce film
Pourquoi, alors que ce film
présente des faits peu glorieux mais réels, ce film met-il aussi mal à l'aise ?
Personne n'ignorait la relation homosexuelle qui avait lié, pour une très
courte période, Verlaine et Rimbaud. Le problème est que le film se réduit à
cela et rien que cela. Il n'épargne en outre rien au spectateur des étreintes
des deux amants, des vexations auxquelles est soumis Verlaine pendant l'enquête
et dans la prison et de sa déchéance. J'avoue m'être attendu à mieux de la part
de la réalisatrice du Jardin secret, un film traité avec
une infinie délicatesse et une poésie rare.
Eclipse totale était un
titre prémonitoire : le film faillit ne pas se faire et il eut peut-être mieux
valu pour tout le monde qu'il ne se fît pas. Il commença en effet sous les plus
mauvais auspices : dans un premier temps, l'acteur pressenti pour jouer le rôle
de Verlaine était John Malkovich,
mais il se récusa à la lecture du scénario (et on peut le comprendre !) Ce
fut David
Thewlis qui le remplaça.
Quant à Rimbaud, son rôle aurait
dû être interprété par River Phoenix,
mais celui-ci mourut d'une overdose peu avant le tournage. C'est finalement Leonardo DiCaprio qui accepta de jouer
le rôle. Loin de moi l'idée de critiquer ce choix car cet acteur-caméléon est
parfaitement crédible dans le rôle d'un gamin de 16 ans, d'une androgynie
troublante (en réalité Leonardo avait 21 ans au moment du tournage et il en
était déjà à son 5ème film, ce qui n’en fait pas un débutant !) Le
problème n'est pas dans la distribution mais dans le scénario et dans la
réalisation, qui a seulement traité l'aspect sexuel de la relation des deux
poètes qui devait être d’une toute autre complexité. Or, cet aspect des choses,
sans doute beaucoup plus difficile à cerner, est totalement évacué par la
réalisatrice.
En fait, dans la réalité, nous ne
savons pas vraiment ce qui lia les deux hommes ni si les choses se sont passées
de la manière dont on nous le décrit. Cet angle de vue, exclusivement sexuel et
morbide, a peut-être voulu pour des raisons commerciales. Si c'est le cas, ce
choix s'avéra être une erreur puisque le public de marcha pas et que le film
fut un échec complet. C'est d'autant plus dommage car aussi bien le matériau de
base (la vie des deux poètes) et la belle brochette d'acteurs choisis (de Thewlis à Romane Bohringer) auraient pu, s'ils avaient eu à s'exprimer dans
un autre cadre, avec un autre scénario et sous une autre direction, donner un
film aussi beau et touchant que l'adaptation que fit Stephen Frears du chef d'œuvre de Colette dans son film Chéri, dont le propos est par ailleurs
presqu’aussi sulfureux que la relation Rimbaud-Verlaine. Mais Agnieszka Holland n’est pas Stephen Frears, loin de là !
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